An 301 après la Halte
Prologue
Trois siècles ont passé depuis que l'Agora d'Or, communauté anarchiste issue des temps pré-spatiaux, s'est installée sur l'aride et mystérieux monde d'Atrais. Les temps de la fondation coloniale, que ce peuple, riche d'une expérience millénaire du "nomadisme cosmique", nomme en conséquence
la Halte, semblent tenir plus de la légende que de l'Histoire. Sans doute en raison de la nature énigmatique et sauvage de leur monde, les Cumrain ont perdu l'habitude, propre aux Agoriens, d'entretenir avec ferveur le souvenir de Terra Prime, alias la Terre, berceau de l'humanité.
Certes, ils savent quel était l'aspect et la richesse biologique de la "grande bleue". Ils ont consigné la mémoire des guerres qui ont ravagé l'humanité terrestre, comme celle des miracles culturels et des oeuvres immortelles qui ont parsemé son parcours sur ce monde lointain, et désormais inaccessible. Que l'on parle aux enfants Cumrain de Rome et de la Grèce, de la Chine Antique, de Michel-Ange, Robespierre, Pythagore, de Cortès ou d'Abraham Lincoln, ces noms ne leur seront pas inconnus, bien qu'ils témoignent d'un passé extrêmement lointain.
Pour autant, les périples et les merveilles propres à l'exploration du vide galactique, à laquelle l'humanité s'est adonnée depuis des millénaires, ont contribué à donner au peuple Cumrain une sensibilité qui la ferait, sans doute, paraître très étrangère à ses ancêtres de Qumran. Peu d'entre eux, par ailleurs, savent quel est ce lieu, et sauraient le placer, ne serait-ce qu'approximativement, sur une vieille carte de Terra Prime. Et pour cause, ce peuple a d'autres soucis, en cette période de commémoration du tricentenaire.
Le Tournant de Fer
Depuis cinq décennies, l'âpre et paisible Atrais a, en effet, subi des violences inédites dans sa jeune histoire, et auxquelles les Cumraint n'auraient pas pu se préparer. Quelques deux siècles de paix quasi-perpétuelle, exception faite d'occasionnelles dissensions entre les colonies, qui, par ailleurs, furent parfois sanglantes et même tragiques, avaient donné le ton de l'existence sur le monde des sables.
Cette période autarcique, durant laquelle les Cumraint n'eurent jamais de nouvelles de leurs congénères de la Voie Lactée, fut en effet un temps à la fois dur et chargé d'angoisses, et incroyablement exaltant, du fait de la tâche immense qui était la leur, que représentait la possession totale de cette planète capricieuse. Parsemée de ruines étranges, de restes de mausolées et sanctuaires, ainsi que d'immenses fresques taillées à même les falaises, Atrais conservait la mémoire d'une ancienne civilisation, relativement primitive d'un point de vue technique, mais d'une richesse culturelle incontestable.
Une aura mystique nimbait ces sables, et les Cumrain voyaient, dans le cours présent de leur destinée, l'occasion d'établir une humanité absolument nouvelle, et bénéficiant de son isolement, comme de son existence initialement paisible, pour laisser libre champ à l'exercice de la raison humaine, débarrassée des sinistres impératifs politiques et militaires, en vue de bâtir la vraie civilisation, celle dont une humanité enfin adulte poserait les bases.
Les choses se passent rarement comme prévu. Mais, en dépit des inévitables conflits frontaliers et intrigues internes auxquels les colonies Cumrain se livrèrent, cette civilisation semblait vouée à poser les bases d'une société fidèle à cet idéal. Jusqu'à ce que, vers l'an 253, un contact se noue avec des individus armés qui s'avéraient provenir de la Voie Lactée. L'état de grâce causé par la nouvelle de l'arrivée de milliers de migrants issus de la Galaxie-Mère, fut vite dissipé par la prédation que les Cumrain eurent à subir, de la part de flottes pirates opérant dans le Quadrant Est.
Ce peuple avait oublié ce qu'était une guerre moderne, et ce que représentait le fait de devoir repousser une invasion. Il le paya cher, et dut subir l'occupation et la prédation d'organisations criminelles, qui semblaient bien décidées à faire d'Atrais un carrefour du trafic criminel dans cette partie de la Galaxie. Pendant sept années, de 255 à 262, les Cumrain durent temporiser, négocier, et s'humilier de toutes les manières, dans l'espoir d'amadouer l'avidité des pirates.
Chute et redressement
Peine perdue. Entre 262 et 268, les nouveaux venus assiégèrent, pillèrent et finir par brûler toutes les colonies des régions planétaires de Lûra, puis d'Aradius, après avoir continuellement repoussé, harcelé et infiltré les milices Cumrain constituées à la hâte. Les cités pionnières des lacs souterrains nord finirent par tomber en 271, date à laquelle la ville troglodyte d'Abrojin, première colonie Agorienne, commença à subir les bombardements quotidiens qui devaient accompagner son histoire pendant dix ans. Cette décade, dite
du Revirement, constitue une rupture dans l'histoire récente d'Atrais, puisqu'elle fut caractérisée par une intense militarisation de la société Cumrain. Bien que restée fidèle à son organisation décentralisée, elle se donna les moeurs, et la résolution farouche d'un peuple de citoyens-soldats.
Ces temps pénibles furent aux ceux des ingénieurs. L'inventivité et la finesse de leurs conceptions en matière d'armement, permirent à ce peuple de se doter d'un arsenal aérospatial performant, qui était alors une nouveauté radicale pour ce peuple, qui avait délaissé tout aéronef de combat depuis l'an 1 de la Halte. La surprise que représenta, pour leurs adversaires, l'emploi massif et audacieux de chasseurs, permit aux Cumrain d'inverser la tendance, et de repasser à l'offensive. Cette reconquête minutieuse, qui leur prit quatre ans, connut sa conclusion avec le départ de la Ligue Adamantine, nom que s'était donnés les pirates après leur installation sur Atrais.
Le harcèlement incessant que les Cumrain exercent encore aujourd'hui sur leurs vieux adversaires, les ont fait respecter, et même craindre de ces derniers. Mais cette victoire majeure n'a pas remplacé les morts. Alors que le trois-centième anniversaire de la Fédération a pu être fêté dans l'honneur, la planète doit être reconstruite. Elle est loin de son potentielle industriel et démographique d'antan, mais une ardeur nouvelle court dans le sang du peuple des sables. Maintenant qu'il sait qu'il n'est plus seuls dans cette Galaxie, l'heure est venue de s'intéresser à ce qui se passe au dehors du système d'Atrais. Et de se prémunir des nouvelles menaces, qui ne doivent pas manquer de rôder, dans cet univers inconnu...
Carte générale d'Atrais- Spoiler: